Oedipe roi (Edipo Re)
Œdipe roi
Pier Paolo Pasolini
« Un anti-manuel de scénario » : le sous-titre de La
cinéfable sied parfaitement à la fable que Pier Paolo Pasolini adapte
d’après Sophocle, laquelle a l’antique mérite, littéralement, de « ne pas
marcher ». Œdipe — issu de la lignée maudite de Labdacides, c’est-à-dire
des boiteux, et dont le nom signifie « celui qui a les pieds
enflés » — ignore qu’il est chez lui là où il va et, convaincu d’être
un étranger à Thèbes, croit avoir fait un pas en avant alors qu’il est revenu à
son lieu de naissance : le drame et le récit confondus, telle est la
cinéfable.
« Le « drame », écrit Claire Mercier, est ce moment poétique où
les jambes des statues antiques, du kouros (le jeune garçon de condition
libre ou le jeune guerrier) ou de la korè (la jeune fille ou la vierge)
achèvent tout à fait de se séparer l’une de l’autre […]. Les membres se
disjoignent, afin que les statues se mettent en mouvement pour marcher
comme on pense et on parle, arpenter un espace qui est aussi le lieu de
l’inscription et de la pesée, à pas répétés et comptés, d’une trajectoire
vivante singulière. Le drame implique un pas en avant et puis un autre[1] ».
Par-delà la trajectoire
individuelle, le retour à l’origine qu’accomplit l’Œdipe
roi de Pasolini raconte aussi ce moment de l’Histoire collective que
le cinéaste, à la fin des années 1960, observe piétiner. Si ses films, en
général, organisent ainsi la « résurrection » intempestive des formes
antiques de la marche — parcours initiatiques, pèlerinages et processions — c’est
qu’il s’agit pour lui de prendre position dans l’Histoire. Autrement dit, de
reprendre pied, à contre-courant de modernes flâneries — et autres mythiques
marches circulaires.
Jennifer Verraes
[1] MERCIER Claire, La
cinéfable entre drame et récit. Anti-manuel de scénario, L’Harmattan, Paris,
2017, p. 38.
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