Grâce à un dispositif original de mise en abymes, Thierry Augé nous convie à un échange audacieux entre deux virtuoses, Martial Solal et Bernard Lubat. Les deux hommes se sont choisis pour interpréter une pièce musicale inédite et ont accepté, tel Velasquez dans les Ménines, d’observer et de commenter sans complaisance leur propre jeu d’interprétation. L’un frappe, pince, percute, tandis que l’autre crée des arpèges de la main droite et laisse la gauche virevolter au gré d’une fantaisie ordonnée. Face à face, de clavier à clavier, les deux pianos tout contre, presque enchâssés, ne faisant plus qu’un infini ruban de touches, Martial Solal et Bernard Lubat s’adonnent à l’art subtil d’une conversation, animée par la maîtrise paradoxale de l’improvisation. Thierry Augé, lui, filme les mains qui cherchent, swinguent, hésitent, se reprennent. Il met les interprètes à distance d’eux-mêmes et fouille au cœur même de leur discours et de ce métier — c’est ainsi qu’ils nomment l’improvisation — pour lequel il faut travailler sans cesse, savoir se perdre pour mieux se trouver. Dans cet exercice à quatre mains, ces musiciens hors pair font leur la phrase du grand compositeur Igor Stravinsky, déclarant que le seul véritable commentaire d’un morceau de musique est un autre morceau de musique. Le film de Thierry Augé restitue à merveille les univers et les propos singuliers des deux musiciens, donne chair à leur art virtuose de l’improvisation et convoque l’hommage vibrant que leur musique rend à nos silences.

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